À l’aube de la Conquête
En 1758, la puissance et l’élan de l’empire britannique ne prennent leurs vraies proportions qu’en regard de l’état désespéré du Canada et de l’attitude de la France à son égard.
La Nouvelle-France se disloque. « Voilà donc le Canada environné de tous les côtés, » écrit Montcalm. « Je dois en effet m’attendre à être attaqué de tous les côtés, » enchâine Vaudreuil. « Nous voilà cernés de tous côtés, » répète Bigot. « Donc la paix nécessaire ou le Canada perdu, » dit Montcalm, le 1er septembre 1758. « La paix me paraît d’une nécessité absolu, » déclare Vaudreuil le lendemain. Les deux hommes ne sont pas concertés : l’un est à Carillon et l’autre à Montréal. L’ennemi peut venir de partout : où trouver des armées pour l’arrêter ? « Vous connaissez, écrit Vaudreuil au ministre de la Marine, les forces Totales de la colonie subdivisez les, Monseigneur »… Ouvert aux invasions, le pays est encore affaibli par une famine qui « augmente de jour en jour ». Et à cela, aucun remède. En apprenant la chute de Louisbourg, la Cour en a prévenu les administrateurs du Canada, ils doivent s’attendre à recevoir de France encore moins de vivres que l’été précédents : « Vous savez les pertes auxquelles on a été exposé cette années pour vous faire passer ce qui en est parvenu dans la Colonie quoique dans des circonstances moins critiques. »
Dans cette situation, deux conceptions stratégiques s’opposent au Canada : celle de Montcalm et celle de Vaudreuil. Montcalm incarne la défensive. Dès le début de la campagne, il est convenu avec Bourlamaque que, pour éviter de contredire le gouverneur, « il pourrait parler de Siege et D’Expédition autant qu’il Jugerait à propos mais que dans Le fond il s’occuperait de notre défensive. » En septembre, le ton est moins enjoué. Le général rédige un mémoire qui définit d’abord des principes. À l’entendre, « les petits moyens, les petites idées » sont devenus « dangereux » ; les conceptions militaires jusqu’alors en honneur au Canada – « les principes du terroir » – sont devenues « des erreurs ». Que recommande-t-il ? « Des mesures qui tranchent, qui décident». Et quelles mesures ? Faire marcher, durant toute la prochaine campagne, quinze miliciens canadiens avec chacune des compagnies des troupes de terre ; mettre, dans chacune des compagnies des troupes de la marine, autant de miliciens que de soldats ; rétablir une marine française sur le lac Ontario, en lancer une sur le lac Champlain, commencer tout de suite à ériger des fortifications de campagne devant Québec.
Un autre principe que le commandant français exprime à plus d’une reprise dans son journal est l’abandon des postes éloignés : il aurait, par exemple, recommandé dès 1757 de « faire sauter le fort Duquesne, de regarder Niagara comme la barrière de cette partie et de rapprocher ainsi ma défense du centre. »
En somme Montcalm a deux idées : incorporer les Canadiens dans les troupes françaises, les faisant ainsi tomber directement sous son commandement ; réduire le périmètre défensif du Canada. Vaudreuil ne peut admettre la première, dans laquelle il ne voit qu’un « désir de Domination sur les Colons. » Quant à la défense de l’Ouest, son projet est assurément de « rétablir la marine » du lac Ontario et de tenir Niagara, mais aussi de se fortifier de nouveau à Frontenac et d’empêcher l’ennemi de reprendre pied à Oswego ; il s’agit de maintenir une communication entre Niagara et Montréal, car, isolé, « réduit à à la défense de sa seule garnison », Niagara «ne pourrait manquer d’être pris si les anglais en fassent le siège ». Le gouverneur définit nettement sa position : « Il est du vrai et du plus solide intérêt de la colonie que je m’attache essentiellement à disputer pied à pied le terrain de nos frontières à l’ennemi au lieu que M de Montcalm ainsi que les troupes de terre veulent seulement conserver leur réputation et désireraient de retourner en France sans avoir essuyé un seul échec ».
La Guerre de la Conquête, 1754-1760. Guy Frégault. Éditions Fides, 2009.