Assemblées populaires de Saint-François en 1837
Dès le mois de mai 1837, les Patriotes organisent des assemblées populaires dans les villages situés aux alentours de Montréal et dans la vallée du Richelieu. Les Patriotes encouragent les compatriotes à boycotter les produits importés d’Angleterre et demandent aux magistrats et notables locaux de renoncer à leurs charges officielles. Les participants se prononcent contre la violence et contre les mesures coercitives, d’où le nom d’assemblées anti-coercitives qu’on donnait aux assemblées de cette sorte. Malgré absence de violence lors de ces démonstrations, de folles rumeurs de pillards et d’assassins incendiaires se répandent à Montréal. Pour plusieurs, il s’agit d’avant-veille d’une révolution imminente.
Voici le récit détaillé sur de deux de ces assemblées (18 juin et 6 août 1837). Ce témoignage permet d’avoir une idée de comment se déroulait une assemblée populaire à l’époque. Ce texte nous a été laissé par le père Thomas-M. Charland (Histoire de Saint-François-du-Lac, 1942, Collège Dominicain, Ottawa) qui cite le journal La Minerve, 26 juin 1837) :
L’Assemblée du 18 juin 1837
« L’assemblée de Saint-François se tint le dimanche 18 juin 1837, à 3 heures de l’après-midi, à la porte de l’église des Abénakis. Plus de sept cents personnes, dit-on y prirent part, parmi lesquelles on remarquait Édmond-Baillie O’Callaghan, député d’Yamaska de 1834 à 1838. Joachim Charpentier présida cette assemblée. M. Charpentier était capitaine du bataillon de la Baie. L’assistaient le capitaine François Despins, de Saint-François, et l’arpenteur Jean-Oliver Arcand, d’Yamaska, agissant l’un comme vice-président et l’autre comme secrétaire.
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On a proposa et adopta dix-huit résolutions à l’unanimité. M. Arcand les a rédigées à l’avance. Sur le ton le plus sarcastique et le plus violent. Les neuf premières étaient moins des résolutions que des considérations. Elles déploraient qu’on n’eût pas redressé les abus dont le peuple de la Province se plaignait depuis longtemps, entre autres l’irresponsabilité du Conseil Exécutif, la composition vicieuse du Conseil Législatif, l’emploi des derniers publics sans le consentement des représentants du peuple, le trafic et le monopole des terres publiques et l’ingérence de la Métropole dans la législation intérieure de la colonie.
Des promesses, c’était toute la réponse qu’on avait donnée à ces plaintes. Le gouverneur Lord Gosford les avait renouvelées solennellement, à son arrivée en 1835, alors qu’en réalité il était chargé d’instructions contraires, qu’il ne voulait pas communiquer avant de s’être assuré du trésor public. Les résolutions Russel étaient une violation flagrante de la constitution du pays et de la parole jurée, un attentat à la liberté du peuple et une tentative de destruction de son existence politique.
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Avec les 10e, 11e et 12e, s’affirmait l’intention de résister par la force à ces mesures d’oppression. Mais auparavant on porterait des coups au commerce anglais. Plusieurs comtés avaient approuvé un projet de requête au Congrès américain pour obtenir le commerce libre avec les États-Unis. Le secrétaire de l’assemblée lut ce projet et il fut résolu (13e) de nommer pour chaque paroisse un comité chargé de faire signer la requête. Celis de Saint-François se composerait de François Despins, William Pitt, N.P., Louis-Germanique Crevier de Saint-François, Ignace Gill et Joseph Courchesne. Il fut aussi résolu (14e) de boycotter les marchandises importées d’Angleterre, dont les droits de douane contribuaient à alimenter la caisse publique, et de favoriser des établissements pour manufacturer au pays ces sortes d’articles.
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La 15e résolution décida le ralliement autour de Papineau : « Que l’Honorable Louis-Joseph Papineau, Orateur de la Chambre d’Assemblée, est l’homme en qui les habitants de ce comté placent une entière confiance pour les diriger dans la crise actuelle et pour être leur organe auprès des autorités, tant au-dedans qu’au dehors du pays. Que les longues épreuves auxquelles il a été soumis dans sa glorieuse carrière politique sont les garanties les plus certaines de son dévouement. Ainsi qu’à sa fermeté à défendre les libertés et les droits du peuple à l’avenir. Comme il l’a fait par le passé, avec un zèle, une intégrité, une persévérance et des talents qui ne peuvent être surpassés.»
Le 16 nomma pour chaque paroisse deux délégués, qui se rencontraient avec ceux des paroisses des autres comtés et avec les députés récalcitrants de l’Assemblée Législative, pour aviser aux moyens de paralyser les mesures du ministère anglais contre les libertés du peuple de la Province.
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François Despins et Louis-Germanique Crevier devaient représenter Saint-François aux réunions de cette convention.
Enfin, on vota (17e) des remerciements aux officiers de l’Assemblée, et on substitua (18e) Joseph Courchesne au major Antoine Bazin dans le Comité permanent du comté sur l’état de la Province.
Les journaux jusqu’en Louisiane publièrent ces résolutions. Les comités locaux qu’elles avaient recommandés ne firent presque rien, sinon de préparer une autre assemblée qui se tint le 6 août suivant, au même endroit et avec les mêmes officiers.
L’Assemblée du 6 août 1837
Le secrétaire, Arcand, expliqua que le but de cette assemblée était de se prononcer contre les droits onéreux de la tenure seigneuriale, les lods et ventes surtout, le douaire coutumier et les hypothèques générales et tacites. Puis il soumit une série de douze résolutions.
Les neuf premières rappelaient que, depuis la conquête, plusieurs seigneurs avaient augmenté les rentes d’une façon arbitraire et exorbitante. (Dix, quinze, vingt sous et plus par arpent, au lieu d’un sou) et exigé des servitudes inconnues avant 1759. Que la taxe des lods et ventes était injuste et empêchait l’établissement des manufactures au pays.
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Que la plupart des immeubles des pères de famille étaient hypothéqués par le douaire coutumier pour la moitié de leur valeur. Que les hypothèques générales et tacites étaient une autre source d’incertitude et de danger dans l’acquisition des immeubles (chaque fois qu’une propriété était vendue, le seigneur encaissait le douzième du prix de vente).
En conséquence, une dixième résolution voulait qu’une humble pétition fût présentée à la Législature en sa session prochaine (convoquée pour le 18 août) pour lui demander de passer une loi qui remédierait à ces maux.
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Les deux dernières résolutions demandaient que les comités locaux de chaque paroisse fussent chargés de faire signer cette pétition, et que le notaire Pierre Blondin fût nommé représentant de la Baie à la convention des délégués des paroisses et des députés récalcitrants, à la place du capitaine Adolphe Lozeau, qui avait résigné (le Canadien, 18 août 1837).
Après avoir lu ces résolutions, le secrétaire ajouta que si on avait quelque chose à dire, pour ou contre, le champ de la discussion était libre. Le silence régna pendant quelques minutes. Personne ne s’avança. Alors le président mit les résolutions aux vois. Les dix premières passèrent à l’unanimité.
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À la onzième résolution, l’opposition éclata. Voici ce que se passa d’après le récit d’un électeur, publié dans le journal La Minerve, numéro du 14 août 1837 : les dissidents avaient retenu les services de trois trifluviens, qu’on retrouvait dans toutes les assemblées constitutionnelles : Pierre-Benjamin Dumoulin et Antoine Polette, avocats, et Pierre Desfossés. Dumoulin manifesta qu’il voulait prendre la parole. La foule se mit à siffler et à crier : moulin à vent, girouette, homme à deux faces !
Le président de l’assemblée apaisa le tumulte en disant que Dumoulin ne pourrait parler que s’il avait un amendement à proposer. Sans répondre par oui ou non, Dumoulin monta sur l’estrade. Il commença par déplorer que le but de l’assemblée ne fût pas de traiter des affaires politiques en général, demanda à en voir l’acte de convocation; et, comme on lui répondit qu’elle était en conséquence d’une résolution des comités locaux de chaque paroisse, il prétendit que cela n’était pas suffisant et que lui seul avait le véritable acte de convocation, signé par soixante personnes.
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On le traita de fou et on le siffla de nouveau. Ayant ensuite tenté de parler de l’état de la Province, on l’a rappelé à l’ordre. Il s’emporta, menaça du poing deux ou trois des plus bruyants auditeurs, les assurant qu’il était homme à se battre et que son parti était plus puissant qu’on ne pensait. Pour toute réponse, il reçut l’invitation de déguerpir immédiatement, lui et sa clique. Puis l’assemblée vota les 11e et 12e résolutions et écouta les discours de Barnard et Proulx, M.P.
Contre-assemblée
Pendant ce temps, les dissidents allèrent tenir une contre-assemblée, à quelques pas de là. Ils élurent comme président Hughes Heney, négociant de Saint-François, comme vice-président le capitaine Joseph Manseau, de la Baie, comme secrétaire le capitaine Adolphe Lozeau, de la Baie, et le Dr. Adolphus Alexander, de Saint-François (Bellemare, Histoire de Nicolet, p. 284).
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Dumoulin y parla à son aise, invoquant contre les patriotes le discours de Mgr Lartigue, chargeant les députés récalcitrants du crime de parjure. « Oui, s’écria-t-il, ce M. Proulx, que vous voyez là-bas, s’est peut-être parjuré vingt fois. Oh ! non, mais au moins dix fois, et une fois surtout avec moi-même ». Polette, Desfossés et le capitaine Manseau haranguèrent aussi l’assemblée. Puis on proposa de vive voix des résolutions.
Le Dr. Léon Rousseau, d’Yamaska, qui avait écouté ces discours, décida de leur opposer un démenti formel, avec preuves à l’appui. Tel que convenu, il fit signe aux partisans de l’autre assemblée de s’amener pour le protéger. Mais, à leur approche, les constitutionnels jugèrent plus prudent de s’éclipser et Dumoulin ne put entendre que l’exorde de la virulent diatribe que Rousseau prononça contre lui.
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