Assassinat rue Saint-Paul de Montréal
Un homme est poignardé à la suite d’une querelle dans un taudis de la rue St-Paul. – Le meurtrier est arrêté. – Belle conduite des agents Gagnon et Desjardins
Assassinat rue Saint-Paul : Montréal, 1er février 1904. – Un meurtrier n’appartient plus à aucune société, il appartient à la justice du pays, et seule cette justice a le droit de commenter l’acte criminel et d’un punir l’auteur.
Partant de ce principe, le journal « Le Canada », qui est aussi bien informé que les autres feuilles, se bornera à relater les faits tels qu’avenus, dans leur brutalité naturelle, mais sans digression oiseuse sur les circonstances qui entourent le meurtre de Parmentier commis hier rue Saint-Paul.
Singulier incident
Vers deux heures, et quinze samedi matin, un message téléphonique du Refuge de Nuit de la rue Notre Dame, demandait d’envoyer des agents.
Le lieutenant Holland envoya les policiers Desjardins et Medel. Devant la porte du Refuge, un homme, sans paletot, sans couvre-chef et légèrement ivre voulait pénétrer de force, dans l’établissement de M. R. Ouimet. Les agents saisirent l’individu qui résista énergiquement, hurlant et jurant, mais qui fut néanmoins non sans peine conduit au poste Central. L’individu avait refusé de donner son nom. Une fois dans la cellule il se calma et s’assoupit peu après.
Cet incident venait à peine d’avoir lieu, quand vers deux heures 50, l’agent Dutilli, entrait au poste et disait qu’on l’avait averti qu’un homme venait d’être tué dans un taudis, situé en arrière du numéro 44 rue Saint-Paul. L’officier Holland envoya le caporal Gagnon et les agents Mdel, Meunier, Laberge pour s’enquérir des faits.
La maison du crime
Les agents arrivèrent devant le No. 44, et durent enfiler un passage rempli d’obstacles et de ténèbres. Le constable Meunier qui était de garde à l’endroit du crime indiqua au caporal Gagnon l’endroit où il devait pénétrer.
Le caporal plaça ses agents et chercha à l’étage supérieur, pour se rendre compte si le meurtrier se serait caché, mais ne vit rien, descendit dans la pièce qui fut le théâtre du drame.
L’ameublement est pauvre, quelques chaises, une table boiteuse, une petite fournaise, quelques ustensiles, vieux portraits, des chromos réclames cachant des murs en mauvais ordre, enfumés qui enveloppaient de noir la pièce ou une petite lampe à pétrole, qui charbonnait, éclairait misérablement le taudis. Sur un lit poussé contre le mur, près de la fournaise, était couché en travers, un cadavre dont une femme tenait la main dans les siennes, suppliant dans ses sanglots de désespoir, un mot, un signe.
L’histoire du meurtre
Dans l’intervalle le caporal Gagnon avait fait mander l’ambulance de l’hôpital Notre-Dame, puis s’approchant de la femme, lui demanda son nom, et la pria de lui dire ce qui était arrivé.
La femme Catherine Lebrun a 27 ans orpheline à 18 mois, elle fut élevée à Gaspé dans un presbytère et à 15 ans elle était jeté sur le pavé de Montréal. Après avoir laissé des lambeaux de son cœur un peu partout, jeune fille à 20 ans, vivant avec les gueux, un paria comme elle lui offrit son cœur et depuis deux ans elle vivait maritalement avec Pierre Parmentier, la victime.
Vers 3 heures samedi après-midi Catherine Lebrun au retour du travail, elle trouva dans sa maison un nommé Baby Haines et Lucien Bernard, dit « le Parisien ». Ils avaient évidemment bu dans l’après-midi. Parmentier demanda à la femme Lebrun de préparer à souper pour trois, ce à quoi elle consenti. Tous soupèrent. Parmentier ordonna alors à Catherine d’aller chercher une chopine de whisky à l’estaminet voisin; comme il n’y avait pas d’argent au logis, il lui dit de porter au mont-de-piété, chez M. Connolly, un cadran, et de payer le brasseur.
Elle revint avec la liqueur. Ils recommencèrent à boire comme de plus belle et quand il n’y eut rien à boire Haines dit qu’il s’en allait chez lui.
Bernard dit Le Parisien, demanda alors à Parmentier de lui donner l’hospitalité pour la nuit, ce qui lui fut accordé; mais Catherine s’adressant à Parmentier, lui dit : « C’est, un voleur, ce Parisien, je ne veux pas qu’il couche ici sans quoi moi dès lundi, je te lâche. »
La lutte commence
Parmentier invoqua son autorité, mais rien ne fit. Catherine lui dit : « Pierre, toi tu as bu, moi pas; conséquemment je sais mieux que toi ce qui je fais, prends-moi donc cette canaille là et jette ça dehors. »
Parmentier et le Parisien avaient trop bu.
La femme Lebrun s’empara alors de la lampe, pendant que Parmentier tenant le Parisien par le bras le poussait vers l’escalier, dans lequel Parisien s’arrêta sur la sixième marche. Ordre de nouveau lui fut donné d’avoir à décamper. Alors, dans un mouvement rapide, le Parisien plongea sa main dans son gousset et en retira un couteau à longue lame, l’ouvrant prestement, il le cacha dans sa main.
Catherine Lebrun, ayant vu le mouvement, cria à Parmentier de garer, mais, furieux, ce dernier donna une poussée vigoureuse à Lucien Bernard.
Lucien Bernard, quo dégringola jusqu’au bas des marches; Parmentier le suivit. Le Parisien ouvrit la porte, descendit les 3 dernières marches de la galerie où déjà se tenait Parmentier. Alors la femme Lebrun vit briller la lame du couteau de Bernard, et ce dernier dans un coup porté de bas en haut à l’italienne, fouilla les entrailles de sa victime; puis poussant brusquement la porte il s’enfuit dans les ténèbres.
M. le docteur J. A. Racicot
A ce moment du récit de la femme Lebrun; on doit l’interrompre, car le médecin ambulancier, le docteur J. – A. Racicot de l’hôpital Notre-Dame, pénètre dans la pièce et constate la mort de Parmentier. Le docteur ayant accompli sa mission, il prend congé.
La femme Lebrun continue. Elle ferma la porte et voyant que Parmentier se tenait le cœur à deux mains, elle l’aida à monter l’escalier. A peine dans la pièce « il s’affaissa près de la fournaise et demanda à Catherine d’ouvrir ses habits pour voir où il avait été poignardé. »
La femme Lebrun, le conduisit jusqu’au lité Parmentier, ouvrit les yeux démesurément, un frisson galvanique le secoua de la tête au pied, il murmura quelques paroles inintelligibles et expira.
Croyant que ce n’était qu’une faiblesse, la femme voulut lui bassiner les tempes avec de l’eau froide. Je perdis connaissance à ce moment-là, dit le témoin. Quand elle reprit ses sens prise de frayeur devant ce corps inerte, elle frappa contre les murs appelant au secours. La tête en délire, livide de peur et d’émotions, la femme Lebrun courut avertir deux agents qui stationnaient près du restaurant. On sait le reste.
Le meurtrier est arrêté
Le caporal Gagnon se fit alors donner le signalement du meurtrier et demanda à la femme Lebrun de vouloir bien l’accompagner. La maison resta sous la garde des autres agents.
Rendus au poste le caporal se consulta un moment avec son supérieur le lieutenant Holland, puis tous deux suivis par la femme ils pénétrèrent dans la voûte où sont les cellules.
Reconnaissez-vous cet homme demanda le lieutenant Holland à la femme Lebrun?
La femme se colla le visage au grillage de fer, et recula brusquement en poussant un cri d’effroi : « Oui, je le reconnais, c’est lui, le Parisien ». C’est ainsi que le meurtrier fut identifié dans la personne de l’ivrogne, que les agents Desjardins et Menier, avaient arrêté au Refuge de Nuit, trois quarts d’heure plus tôt.
Le lieutenant Holland ordonna alors que la femme Lebrun fut conduite au poste #4, afin d’être tenue à la disposition de la justice.
Des vêtements maculés
Les agents Desjardins, Menier et le Dr. Dugas, médecin autopiste, ont découvert près de la porte de sortie, une large mare de sang. Puis en sortant dans la cour, Desjardins trouva sur la neige un paletot noir et une casquette à ponts. Le paletot était tout pailleté de gouttelettes de sang. Ces objets ont été reconnus par le prisonnier comme étant les siens.
On avertit les officiers de la morgue qui vinrent chercher le cadavre et le transportèrent sur les dalles de l’établissement de la rue Perthuis.
Le coroner, que l’on eut beaucoup de difficulté à trouver, ordonna que l’on apposa les scellés.
Pièces à conviction
Le réserviste Murphy, ayant remarqué que le gilet du prisonnier était couvert de sang, le lui fit enlever, et le remit au lieutenant Holland.
Le caporal Gagnon a en sa possession, le couteau qui a servi à perpétrer le crime. C’est une arme qui n’a qu’une lame. Sur un côté il y a une large tache de sang coagulé.
L’agent Desjardins a aussi apporté des flacons de liqueurs, et un énorme goblet qui était encore rempli.
La Sureté ayant été avertie par le lieutenant Holland; le détective Dan McLaughlin fut envoyé sur le théâtre du drame, il trouva près de a porte une galoche qui fut identifiée par le prisonnier comme étant sa propriété.
Dimanche matin le lieutenant Holland, le caporal Gagnon et deux agents se sont rendus auprès du prisonnier. Le lieutenant avertit le Parisien que toute admission ou confession pourrait servir contre lui au procès: et lui demanda s’il savait que Parmentier était mort.
Le Parisien, l’œil vide, et le front encore alourdi par la fatigue de l’ivresse, laissa tomber sa tête sur sa poitrine et ne dit mot.
Entrevue avec le prisonnier
Le représentant de notre journal (Le Canada) a eu hier soir une entrevue avec le prisonnier. Il a répondu aussi aux questions posées.
Je me nomme Lucien Bernard, j’ai 30 ans et suis célibataire, je suis né dans le 19ième arrondissement, département de la Villette, en France, j’ai encore mon père et ma mère, j’ignorais que Parmentier fut mort, je le regrette beaucoup, c’était un excellement ami pour moi. Je ne me rappelle pas m’être querellé avec lui samedi et cependant nous étions tous les deux très gris. Nous avons toujours été en de très bons termes depuis dix ans que nous nous connaissons. Je sus au pays depuis 14 ans, je travaillais dans les chantiers et je ne suis à Montréal que depuis vendredi dernier.
Samedi nous avons bu, mon ami et moi, du vin et du whisky en assez grande quantité.
Barnard s’assied alors et s’étreint la tête comme pour comprimer ses tempes.
Le caporal Gagnon, qui sera la cheville ouvrière de cette cause, nous dit que le Parisien avait du sang sur les mains et à la figure, dimanche matin. Le prisonnier est calme et ne se doute pas encore qu’il est accusé de meurtre. L’enquête du coroner aura lieu ce matin. L’autopsie du cadavre a été faite dimanche après-midi, mais le médecin n’a pas voulu en donner le résultat.
La victime
La victime se nomme Pierre Parmentier, était âgé de 58 ans, marié et père de 9 enfants tous morts en bas âge. La femme Lebrun a déclaré, que quoique prenant quelques rasades, il se grisait peu, et était très bon pour elle. La femme Lebrun que nous avons été voir hier soir, est très énervée du choc que lui a causé ce drame. Le caporal Gagnon, l’agent Desjardins et ses compagnons méritent des félicitations pour l’adresse et la délicatesse dont ils ont fait preuve dans l’accomplissement de leur devoir.
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