Les Anglais à Québec en 1628
Samuel de Champlain, perplexe, en ce matin du 9 juillet 1628, interrogeait du regard, du haut du cap Diamant, les rives du Saint-Laurent aussi loin qu’il le pouvait, du côté de l’île d’Orléans. Autour de lui, tout était paisible. Les colons, hommes et femmes, vaquaient en toute quiétude à leurs occupations dans l’habitation et dans les champs bien cultivés à l’entour. Rien ne laissait présager un malheur. Et pourtant…
Le gouvernement pour le compte de la Compagnie des Cent Associés (fondée l’année précédente par Richelieu, avec mission de transporter au Canada 4000 colons des deux sexes en quinze ans) reporta son regard sur le fort qu’il avait fait reconstruire de fond au comble deux ans plus tôt, à l’emplacement du fort primitif de 1620 jugé trop petit, et qui braquait ses canons à quelques pas de lui. À l’abri de cette artillerie, l’habitation, que soixante-dix personnes à peine occupaient, résisterait-elle en cas de l’attaque? Car enfin, qu’étaient ces six vaisseaux inattendus dont on venait de lui signaler l’arrivée à Tadoussac?
Champlain avait envoyé aux nouvelles un truchement grec qui se trouvait là. L’attente du gouverneur ne fut pas longue. En effet, une heure ne s’était pas écoulée que le Grec revenait avec deux canots à force de rames. Dans l’un d’eux se trouvait un dénommé Foucher, colon installé au Cap Tourmente. Dès qu’il fût à portée de voix, il cria à Champlain accouru au débarcadère : – Les Anglais arrivent !
Foucher raconta comment il avait été fait prisonnier avec tous les siens par une quinzaine de soldats anglais, qui tuèrent le bétail, incendièrent l’habitation et les étables, et comment lui seul avait réussi à s’échapper de leurs mains pour venir à Québec donner l’alarme. Ainsi les craintes de Champlain, depuis que Charles 1er d’Angleterre avait déclaré la guerre à la France pour soutenir les révoltes de La Rochelle, ne se trouvaient que trop pleinement confirmées!
On mit aussitôt le fort en état de défense, et tous les habitants s’employèrent à faire des retranchements et des barricades, tandis que le gouverneur indiquait à chacun son poste de combat. Le lendemain, une chaloupe montée par six Basques vint apporter une sommation du général David Kirke, alors à l’ancre à Tadoussac, d’avoir à lui rendre l’habitation de Québec, puisqu’il « avait obtenu commission du roi de la Grande-Bretagne, mon très honoré Seigneur et Maître, disait-il, de prendre possession de ces pays, savoir Canada et Acadie. »
Samuel de Champlain, homme calme, ne s’emballait jamais. Entre le texte de la sommation de Kirke et le texte de la réponse, il note dans son Journal : « La lecture faite, nous conclûmes sur son discours que s’il avait envie de nous voir de plus près, il devait s’acheminer et non menacer de si loin, qui nous fit résoudre à lui faire cette réponse telle qu’il s’ensuit. »
Réponse, on s’en doute, qui n’était qu’une courtoisie fin de non-recevoir. Digne et fière, elle semblait émaner d’un homme sûr de lui. À Kirke qui se faisait fort de réduire l’habitation par la famine, il disait qu’il avait en abondance « grains, blé d’Inde, pois, fèves, sans compter ce que le pays fournit » et que ses gens étaient capables de soutenir avec honneur un long siège à l’abri de leurs canons, car les munitions non plus ne faisaient pas défaut.
Les Basques rapportèrent la réponse qui dut faire impression sur Kirke, car celui-ci ne parut pas devant Québec cette année-là. Il se contenta de bloquer le fleuve, de s’emparer de tout ce qu’il pouvait et de détruire le reste. Malheureusement, il battit la flotte de Roquemont qui, sans méfiance, apportait à la colonie le secours annuel de vivres, de munitions et de colons nouveaux.
Or la situation de Québec était moins brillante que Champlain ne s’était plu à le dire. Relevons ces aveux quelque peu mélancoliques du Journal : « Chaque homme étant réduit à sept onces de pois par jour, ni ayant pour lors que 50 livres de poudre à canon, peu de mèche et de toutes autres commodités, que s’ils eussent suivi la misère en laquelle nous étions, car en ces occasions bonne mine n’est pas défendues. Cependant, nous faisions bon guet, tenant toujours mes compagnons en devoir. »
Une année entière s’écoula ainsi.
Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes-Rocheuses, par Cerbelaud Salagnac, Éditions France-Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.
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