Honneurs seigneuriaux et patriotisme

Les honneurs seigneuriaux et patriotisme

Raconté par le père dominicain Thomas-Marie Charland dans son Histoire de Saint-François-de-Lac (publiée en 1942), cet épisode témoigne des humours de la population et de la conduite de certains curés envers les Patriotes lors des Rébellions de 1837-1838.

Lors des événements de 1837-1838, l’ancien seigneur de Saint-François-sur-Richelieu, Joseph-Antoine Crevier de Saint-François, s’était signalé par des propos séditieux. On ne l’arrêta pas. Mais le curé Béland en profita pour lui refuser les honneurs seigneuriaux, dont il avait continué de jouir après la vente de sa seigneurie. En vendant sa seigneurie, le 31 juillet 1812, Crevier s’était réservé « la jouissance d’occuper le banc seigneurial dans la paroisse de Saint-François et de recevoir les honneurs, tant pour lui, sa vie durant, que celle de dame son épouse ».

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(Le banc seigneurial se plaçait dans l’endroit le plus honorable, c’est-à-dire la droite en entrant dans l’église, à quatre pieds de la balustrade. Le seigneur était le premier à recevoir l’aspersion de l’eau bénite, après les marguilliers de l’œuvre et le chœur ; le premier à aller à la balustrade pour recevoir les cierges de la Chandeleur, les cendres, les rameaux, le pain bénit, après le clergé revêtu du surplus; le premier à marcher après le curé dans les processions. Au prône, il était nommément recommandé aux prières (Édits et Ordonnances, II, 154-157.)

À la fin de 1815, le nouvel acquéreur, Louis Proulx, de Nicolet, fit signifier un protêt au curé du temps, M. Paquin, lui faisant défense expresse d’accorder ces honneurs à Crevier.

M. Paquin consulta Mgr Plessis. Celui-ci répondit, le 15 janvier 1816. Le cas d’une semblable réserve s’étant déjà rencontré plusieurs fois et la légalité d’une telle convention n’ayant pas encore été contestée, il ne devait pas hésiter à accorder à l’ancien seigneur l’eau bénite, les cierges, les rameaux, le pain bénit, etc. Mais qu’au prône il suffirait de prier pour le seigneur de cette paroisse, sans nommer personne. M. Paquin suivit cette ligne de conduite. Ses successeurs firent de même.

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M. le curé Béland voulut s’en écarter, dégoûté qu’il était de la « conduite dégradante et révolutionnaire » de Crevier en 1837. Il commença par consulter l’avocat Vézina, à qui il soumit les points suivants. « 1) Un seigneur vendant sa seigneurie peut-il se réserver les honneurs dans l’église et continuer d’en jouir ? 2) La jouissance de ces honneurs pendant un certain temps peut-elle les luis assurer à l’avenir. C’est-à-dire après la vente du fonds où se trouve bâtie l’église ?

L’avocat répondit. 1) que l’ex seigneur ne peut se réserver les droits honorifiques en vendant sa seigneuries. On ne doit exiger et recevoir ces honneurs que par le seigneur propriétaire de la terre où est bâtie l’église. 2) Que les droits honorifiques ne peuvent jamais s’acquérir par possession ou prescription, étant établis par la loi et inséparables de la seigneurie.

M. Béland pouvait donc légalement refuser les honneurs seigneuriaux à Crevier. Un grand nombre de paroissiens désiraient aussi qu’il le fît. Il prit l’avis de Mgr Signay, qui abonda dans son sens. Puis, un beau dimanche, le 21 janvier 1838, sans même prévenir Crevier, il lui refusa publiquement l’eau bénite et recommanda à l’enfant de chœur d’aller quêter à son banc le premier. Le 4 février suivant, même refus. C’était, ce dimanche là, la solennité de la Chandeleur. Crevier n’osa pas aller au pied de l’autel pour recevoir le cierge bénit.

Crevier écrivit à Mgr Signay pour se plaindre. L’évêque lui fit répondre pas son secrétaire (10 septembre 1838). « J’ai ordre de vous informer que la difficulté qui existe entre vous. Votre curé ne se terminer que par un recours aux tribunaux civils. Sa grandeur désire ne point s’en occuper ». L’affaire n’alla pas plus loin.

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