Espagne et Portugal et l’Âge des Découvertes
Âge des Découvertes : Espagne et Portugal. Dès le début de la Renaissance, le Portugal et l’Espagne excellèrent dans deux disciplines éminemment pratiques, la navigation et la cartographie. Particulièrement importantes pour les explorations maritimes, ces sciences se développèrent sans le concours des érudites français ni italiens, à partir de sources propres de la péninsule ibérique.
Les progrès du Portugal et de l’Espagne résultèrent de la conjugaison des enseignements rapportés par des marins expérimentés, par les connaissances géographiques acquises par les cosmographes et les mathématiciens arabes qui transmirent aux habitants de l’Ibérie les leçons glanées par leurs marchands dans leurs courses à travers la Méditerranée jusqu’au Levant, et leurs voyages aux Indes ou le long de la Côte d’Afrique.
Ainsi s’explique le fait que, dès le XVe siècle, les Portugais se soient lancés dans l’exploration de la côte occidentale de l’Afrique, tandis que l’Espagne, vers le milieu du siècle, ait cherché à rivaliser avec sa voisine dans ces mêmes eaux. En d’autres termes, ces deux puissances de cette époque ont été les premières à s’engager dans les explorations.
Les chantiers de construction de ces deux pays ont été les premiers à bénéficier de l’association des avantages des navires méditerranéens et nordiques. Leur littoral permettait de profiter de vents réguliers qui, au printemps, poussaient les navires en direction du sud-ouest dans l’Atlantique et à l’automne les ramenaient au port. En outre, l’esprit de croisade persista dans les nations ibériques plus longtemps qu’ailleurs : l’Espagne ne se débarrassa des derniers Maures sur son territoire qu’en 1492.
Cependant, si le Portugal et l’Espagne jouèrent un rôle actif lors de l’Âge des Découvertes, l’inspiration leur vint de l’Italie. Ces deux pays tentèrent de protéger le secret de leurs découvertes, mais les marchands étrangers, qui à Lisbonne ou à Séville voyaient affluer les épices, les esclaves, l’ivoire, les teintures, soudoyèrent les pilots et les navigateurs, copièrent les cartes, transmirent ces renseignements à leurs pays. D’autres gouvernements s’intéressèrent à ces nouvelles sources de richesses et de puissance. Un grand nombre de particuliers pressentirent un nouveau moyen de faire fortune. Tour à tour, l’Angleterre, la France, et, vers la fin du XVIe siècle, les Pays-Bas, entrèrent dans ce mouvement qui, dès lors, devint général.
Pêro de Covilha et Alphonse de Païva
En 1487, Jean II, le roi du Portugal, dépêche deux voyageurs par des voies terrestres, avec mission, pour le premier, de trouver une route d’accès aux richesses de l’Orient, et, pour le second, de prendre contact avec le prêtre Jean, un personnage mystique qu’on croyait gouverner de vastes régions chrétiennes dans l’Orient Extrême.
Pêro da Covilha devait gagner l’Arabie, puis les Andes et rapporter des renseignements sur le trafic maritime des musulmans, qui s’adonnaient au commerce des épices entre les Indes et la côte d’Afrique.
De son côté, Alphonse de Païva devait aborder l’Afrique par le Nord-Est et s’enfoncer à l’intérieur. À l’époque, on croyait que le Royaume du prêtre Jean ne pouvait se trouver que dans la région de l’Éthiopie. Covilha parlait l’arabe, ce qui était probablement aussi le cas de Païva. Ils gagnèrent Aden de conserve, puis se séparèrent.
Le mystère qui plane dès lors sur les mouvements de ces deux voyageurs est plus étrange encore que celui qui enveloppe l’expédition de Dias. On sait que Covilha gagna Calicut, ce port de la côte des Indes où les navires musulmans embarquaient les épices, les porcelaines, les soieries et les pierres précieuses, venues par jonques de Chine ou des Indes orientales, ainsi que le poivre et le gingembre de la côte de Malabar. Les navires musulmans transportaient ces marchandises précieuses en Arabie et sur la côte orientales de l’Afrique.
Covilha n’était pas le premier voyageur européen à atteindre les Indes ; en effet, marchands génois, vénitiens, français, hollandais prenaient parfois passage sur les bâtiments qui, partant du Caire, descendaient la mer Rouge et se laissaient pousser par les vents favorables jusqu’aux ports indiens. Empruntant une route inverse, Covilha traversa le golfe Persique et atteignit le port de Sofala, près de Beira. Il y aura appris que l’océan Indien communiquait avec l’Atlantique et qu’il existait donc une voie maritime, permettant de relier l’Europe et l’Asie.
En 1490, Covilha atteignit le Caire pour apprendre que Païva, avec lequel il avait rendez-vous, venait d’y mourir ; cependant, il y trouva des émissaires du roi Jean, chargés de recueillir le compte rendu de sa mission et de lui enjoindre de poursuivre la tâche assignée à Païva. Sans y trouver la moindre trace de l’existence du prêtre Jean, il gagna la cour d’Éthiopie où il fut retenu prisonnier.
En 1520, une nouvelle mission arrivera à la cour d’Éthiopie ; ces membres furent surpris de se trouver accueillis par un Covilha vieillissant, l’une des victimes les plus touchants et le plus remarquable du désir d’expansion de sa patrie. Son premier rapport avait indubitablement atteint le Portugal et contribué à affermir la décision de Jean II qui devait pourtant mourir en 1495, puis son successeur Manuel, de travailler à l’ouverture de la voie maritimes des Indes.
Rivalité entre les Espagnols et les Portugais
Le traité de Tordesillas, signé en 1454, retournait au Portugal toutes les terres à l’est du méridien 46.37` ouest, à L’Espagne toutes celles se trouvant à l’ouest de cette ligne. Les conséquences de cette démarcation n’allaient apparaître clairement qu’au siècle suivant.
Un méridien fait tout le tour du globe et la position des Moluques, par rapport à cette ligne de démarcation devenait matière à controverse. Il est aisé de constater aujourd’hui que la zone d’influence des Portugais couvrait les Moluques avec une marge de 6 degrés, à l’époque, nul ne pouvait déterminer les longitudes avec précision. Pour empêcher les Espagnols de contester leurs droits, les Portugais déplacèrent délibérément les Moluques sur les cartes qu’ils publiaient.
Il s’ensuivit une furieuse querelle entre Portugais et Espagnols, chaque camp faisant appel à des experts, qui citaient selon la cause telle ou telle autorité en matière de géographie. Ptolémée, Mandeville ainsi que des voyageurs de leurs temps. Un règlement financier mit un terme à la dispute. L’empereur Charles-Quint avait de gros besoins d’argent. Il vendit au Portugal ses prétentions sur les Moluques et les Philippines contre la somme de 350000 ducats.
Tout en s’intéressant avant tout à l’exploration des îles de la Sonde, les Portugais lièrent des relations commerciales avec les états de la côte du golfe du Bengale et de la Birmanie, ainsi qu’avec le Siam et le Cambodge. En conséquence, entre 1530 et 1550, le littoral de ces régions apparut progressivement sur les cartes avec une bonne précision.
En 1557, les Portugais fondèrent Macao, sur la côte de Chine, une colonie qu’ils tiennent encore de nos jours. Cependant les Chinois n’autorisant leurs marchands qu’à commercer sporadiquement avec l’intérieur du continent, les Portugais, ces marins particulièrement dynamiques, s’intéressèrent aussi aux possibilités qu’offrait le Japon. Les Japonais leur réservèrent, à Kagoshima en 1549 et à Nagasaki en 1571, un accueil amical, mais changèrent bientôt d’attitude. Une fois ces bases établies, une fois organisé un voyage annuel, avec départ de Macao et escales à Nagasaki et Goa, les Portugais marquèrent un temps d’arrêt et la cartographie des côtes du Japon ne fut reprise qu’au XIXe siècle.
Accordant plus d’importance aux Philippines, les Portugais étudièrent minutieusement les eaux de l’archipel et, vers 1570, Manille devint un grand centre de transit à mi-chemin des ports chinois où l’on embarquait la soie, et des ports de Moluques, si riches en épices.
Au XVIe siècle, alors qu’en Amérique les expéditions vers l’intérieur du pays se succédaient, remplaçant les mythes par des faits, l’Asie, faute de tentatives analogues, demeura mystérieuse. On se contentait de ramasser de riches marchandises sur les côtes, et d’ailleurs les gouvernements des pays asiatiques étaient trop puissants pour que les maigres forces expéditionnaires européennes, débarquées sur des théâtres d’opérations si lointains, aient été tentées de les renverser.
Les explorations ne pouvaient accroître les profits d’une façon importante, ni permettre de vastes conquêtes. L’hinterland asiatique demeura donc pratiquement inviolé. L’étendue nord-sud de la Chine ne fut déterminée qu’en 1598 et ce n’est qu’en 1607 qu’il fut possible de conclure d’une façon définitive que la Chine et l’empire de Cathay, décrit des siècles plus tôt par Marco Polo, ne faisaient qu’un.
Pour respecter une certaine symétrie dans le déroulement de l’histoire, il aurait fallu que la tâche de décrire la Chine fût assumée par des explorateurs, qui auraient ainsi complété l’œuvre spirituelle d’Henri le Navigateur. Elle revint à des aventuriers et à des missionnaires, tel Bénédicte de Goes, qui fixa les frontières occidentales de la Chine et mourut au terme de son héroïque traversée du Turkestan, méritant cette épitaphe : « En cherchant Cathay, il trouva le Ciel. »
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