L’affaire Guilbord

L’affaire Guilbord

Affaire Guilbord : Dans la nuit du 18 novembre 1869, à Montréal, un mort entre malgré lui dans l’histoire. Cet homme. C’est Joseph Guibord dit Archambault. Il est typographe chez l’imprimeur montréalais Perrault et membre actif de l’Institut canadien.

Cette histoire rocambolesque montre bien jusqu’à quel point l’autorité ecclésiastique et l’autorité civile peuvent se heurter à cette époque. En mars 1858, l’évêque de Montréal est Mgr Ignace Bourget. Il est un rigide ultramontain. Il demande à l’Institut canadien, qui se veut une sorte d’université populaire, un lieu d’échange pour les intellectuels, de retirer de sa bibliothèque les livres répudiés par la Congrégation de l’Index. Par ailleurs, les membres catholiques de l’Institut devront quitter l’organisme s’il ne se soumet pas à la demande de l’évêque. Cent cinquante membres démissionnent, mais des irréductibles se moquent des ordres de l’évêque, violant par le fait même l’un des articles du concile de Trente. Ce qui leur vaut l’excommunication.

La Loi de l’Église

En novembre 1864, 17 membres de l’Institut canadien demandent à Rome de réviser la sanction. Peine perdue, la réponse est incisive : « Tous ceux qui continuent de fréquenter la bibliothèque de l’Institut seront excommuniés. » Le 17 novembre 1869, dans une lettre qu’il poste de Rome, où il se trouve de visite, Mgr Bourget avertit son vicaire général et administrateur de l’évêché de Montréal, Alexandre F. Truteau, qu’il doit refuser l’absolution, même à l’article de la mort, à tous ceux qui appartiennent à l’Institut canadien.

Et voilà… Joseph Guilbord, membre de l’Institut, meurt le 18 novembre 1869. On lui refuse les derniers sacrements. Le lendemain, plusieurs de ses amis accompagnent sa veuve, Henriette Brown, à l’église Notre-Dame de Montréal. Le curé Victor Rousselot refuse que la dépouille soit inhumée dans le cimetière de la Côte-des-Neiges dans le lot appartenant à la famille. Le 21 novembre, un dimanche, des amis transportent quand même le corps du défunt au cimetière. Le gardien Desrochers refuse de les laisser entrer. Deux cents personnes crient et hurlent à la barrière. On en vient aux coups. Finalement, les restes du pauvre Guibord sont emmenés au cimetière protestant.

La Loi des Hommes

Des procédures sont intentées contre la fabrique. Le juge Mondelet donne raison à la veuve Guilbord. Mais le 12 septembre 1870, son jugement est renversé par la Cour de révision. En septembre 1871, la Cour du banc de la Reine donne raison à la Cour de révision. Après le décès de madame Guibord, en 1873, un autre membre récalcitrant de l’Institut canadien, Joseph Doutre, porte la cause au Conseil privé. À la surprise générale, Londres donne raison à l’Institut, qui obtient un bref de la Cour supérieure ordonnant au curé Rousselot de se soumettre au jugement. Le 2 septembre 1875, on tente de ramener le cercueil de Guibord au cimetière catholique, mais la bagarre éclate encore et on est forcé de rebrousser chemin vers le cimetière protestant.

Entre-temps, Mgr Bourget, qui n’en démord pas, publie une lettre pastorale dans laquelle il annonce à ses ouailles : « Le lieu où sera déposé le corps de l’enfant rebelle à l’Église se trouve séparé du reste du cimetière bénit, pour n’être plus qu’un lieu profane. » Le 16 novembre 1875, escorté de militaires armés, de policiers nerveux, d’une foule excitée, Joseph Guibord fait une entrée remarquée dans le cimetière catholique. Il est inhumé au-dessus de la dépouille de son épouse. Et pour être bien certain que le pauvre Guibord restera à l’abri des extrémistes de tout acabit, on coule du ciment sur le site…

(Source : Marcel Tessier raconte, chroniques d’histoire, Éditions de l’homme, 2000. Tome 1).

Voir aussi :

Séminaire
Vieux séminaire de Montréal. Photo : Histoire-du-Quebec.ca.

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