L’administration de la chose publique depuis Champlain jusqu’à 1867
Administration du Canada avant 1867 : Aujourd’hui, il nous est difficile d’imaginer la possibilité de vivre dans un pays où le régime parlementaire n’existerait pas, c’est à-dire d’appartenir à un État sans Assemblées exerçant le pouvoir législatif Pourtant sous leur forme actuelle, les institutions démocratiques sont une innovation récente et il n’est pas nécessaire de remonter bien longtemps le cours de l’Histoire pour voir que nos ancêtres auraient trouvé ridicule de songer à un gouvernement où le peuple exerçât la souveraineté, exigeât une législation sociale et, par ces lois, une certaine redistribution des riches ses entre les citoyens, redistribution qui devient maximum aujourd’hui dans les républiques dirigées par des socialistes.
L’absolutisme
De douze a quinze générations se sont succédés depuis la fondation de Québec par Samuel de Champlain.
Jusqu’en 1663. la Nouvelle-France fut administrée de façon autocratique par des gouverneurs dont le choix dépendait, en partie de certaines compagnies auxquelles on avait accordé le monopole de la traite des fourrures ou même du commerce en général, mais qui finirent par perdre leurs privilèges parce qu’elles n’avaient pas rempli leurs promesses relatives à l’établissement de nouveaux colons et à la christianisation des Indiens.
On se rappelle le sieur des Monts et la compagnie des marchands de Rouen et de St-Malo, ainsi que la célébré « Compagnie des cent associes puis la Compagnie des habitants de la Nouvelle-France ». L’arme à la main, on affrontait la concurrencé étrangère. Et la menace continuelle que faisait planer un ennemi tantôt déclaré tantôt cache, exigeait de tous les membres de la collectivité une discipline stricte et une obéissance entière.
Henri IV, le « roi des petits gens » avait donné à Champlain le droit de « En paix, repos et tranquillité commander et gouverner, tant par mer que par terre. Ordonner, décider et faire exécuter tout ce que vous jugerez se devoir et pouvoir faire, pour maintenir, garder et conserver les dits lieux sous notre puissance et autorité.
Quelques mois après son arrivée en 1508 a l’endroit où s’était élevée Stadaconé au temps de Cartier, le « Père de la Nouvelle-France » usa de ses pouvoirs étendus pour faire pendre « haut et court » Jean Duval afin de garder, en la possession du souverain, l’Habitation que le traître voulait, dans un but de lucre, faire passer aux mains des Basques de Tadoussac. La manière est plutôt brutale, mais encore annuellement on recourt aux procès expéditifs en période de troubles et de guerre.
Même sous la férule d’un monarque absolu, il arrive qu’on prenne l’avis du peuple. Les annales nous conservent le souvenir dune certaine « assemblée des habitants » de Qu’bec pendant l’été, de 1616. Il est d’ailleurs quelque peu emphatique de parler en ces termes d’une réunion qui ne groupa, en réalité qu’une demi-douzaine des personnes les plus en vue de ce qui n’était encore qu’un village la population ne dépassait guère cinquante âmes a ce moment. La convocation émanait de Champlain à la demande des Révérends Pères d’Olbeau, Le Caron et Jamet qu’inquiétait l’avenir des missions. À l’issue des délibérations, on en vint notamment à la conclusion qu’il fallait peupler la contrée avec des laboureurs et des artisans, laisser tous les Français libres de commercer avec les Indiens, amener les sauvages à adopter un mode de vie sédentaire et les élever à la française, fonder un séminaire à l’intention de leurs enfants et enfin aider les missionnaires dans leur œuvre. Champlain. les Pères Le Caron et Jamet devaient regagner aussitôt l’Ancien Monde pour parler de la chose au Roi : leur vaisseau, parti le 3 août 1616 de Tadoussac, arriva le 10 septembre à Honneur.
Mais les compagnies commerciales, soucieuses des seuls avantages confères par leur monopole, ne firent venir d’Europe que le moins possible de colons.
Sous le gouvernerai de Louis d’Aileboust, l’administration commença de se transformer avec la création d’un Conseil composé du gouverneur ; du supérieur des Jésuites ; de deux notables élus ; et d’une cinquième personne devant être, autant que possible, le gouverneur sortant. Puis sous Jean de Lauzon, il se constitua une sénéchaussée chargée de rendre justice. En 1663, on assista a un changement encore plus important: le Canada sera désormais une « province » du royaume de France par décision de Louis XIV Et jusqu’à la fin du régime français sans autres modifications fondamentales, il y aura un Conseil Souverain (ou Supérieur) – avec des attributions plutôt honorifiques ; un intendant dont l’activité s’exerçait dans les domaines de la justice, de la police, de la finance et des problèmes administratifs locaux : un gouverneur s’occupant des questions militaires, de la politique générale et des rapports avec les Indiens.
De la prise de Québec en 1759 jusqu’au traité de Paris en 1763, les officiers anglais agirent au Canada comme en pays occupé. Par la suite, les conquérants qui, dans leur for intérieur, souhaitaient voir disparaître le français et le catholicisme, accordèrent aux habitants la liberté de pratiquer leur religion seulement en tant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne », supprimèrent en fait les lois françaises et ne reconnurent pas la langue des vaincus.
En marche vers le parlementarisme
Les protestations des Canadiens français finirent par émouvoir Londres que la conduite ries « Treize colonies » remplissait d’appréhension, et qui se montra disposé à céder sur certains points, à rendre l’administration plus acceptable à légiférer en conséquence.
La nouvelle fut mal accueillie par les commerçants anglais dé Québec et de Montréal. Ils ne voulaient pas (le loi protégeant les anciens sujets de la France. Ils préconisaient plutôt, de soumission du gouvernement du Canada à une Assemblée élue ; leur intention n’était pas pure : ils le savaient : les Canadiens français s’excluraient eux-mêmes de la Chambre ; ces derniers ne pourraient accepter d’en faire partie, car il leur faudrait prêter le serment du Test, dont la formule blasphématoire ne reconnaissait pas la Présence Réelle.
Néanmoins l’Acte de Québec, fut voté en 1774 au parlement londonien : on gardait la législation pénale anglaise, mais les lois françaises concernant la propriété et les seigneuries étaient remises en vigueur ; on reconnaissait aux catholiques le droit d’exercer leur religion et l’on transformait le texte du serment pour qu’il ne soit plus incompatible avec leurs convictions religieuses el qu’ils puissent remplir des fonctions publiques ; on créait un Conseil législatif, à qui il n’était pas loisible de lever d’impôt, excepté dans certains cas bien définis et pour des fins d’importance secondaire.
Les Anglais de Québec et de Montréal ne se résignèrent pas généralement, à la concession faite au papisme ; ils persistèrent donc à réclamer une à Assemblée élue qu’ils espéraient encore avoir sous leur coupe. Les Loyalistes nouvellement installés dans la contrée les appuyaient, désirant jouir des mêmes avantages politiques que ceux dont ils avaient profité auparavant dans leurs pays d’origine.
Cependant, le Conseil législatif, à majorité anglo-saxon déplaisait, par une attitude despotique, aux Canadiens français dont beaucoup vinrent progressivement a se familiariser avec le protêt d’une Assemblée élue, et à souhaiter qu’il se réalise pourvu que leur groupe ethnique soit équitablement représenté.
C’est dans cette conjoncture que l’Acte de 1791 fut, sanctionné à Londres, la province de Québec était coupée en deux, ce qui donnait le Haut-Canada. avec quelque 100,0OO habitants et le Bas-Canada, avec 150,000 personnes environ. Dans chacune de ers divisions territoriales et administratives, on instituait un Conseil législatif dont les membres seraient nommés par l’autorité, et une Assemblée législative sous le régime du suffrage universel, Mais le gouverneur, ou le lieutenant-gouverneur, n’allait pas cesser de diriger lui-même la colonie avec l’aide de la Chambre haute et du Conseil exécutif qui avait a sa disposition, entre autres revenus, les subventions envoyées par la métropole pour l’armée.
Des frictions innombrables caractérisèrent les relations des assemblées avec les échelons supérieurs de la hiérarchie. Au Bas-Canada, les heurts fiaient plus accentués, et, une forte proportion des recommandations de la Chambre inferieure dans laquelle on ne reconnaissait qu’une seule langue officielle, l’anglais, restau, lettres mortes. Ce furent des années pénibles pour les descendants de Français, et le souvenir des luttes Après qu’ils menèrent, avec le cierge, afin de perpétuer l’enseignement de leur langue et de leur religion, demeure vif. Trop souvent les gouverneurs, meilleurs militaires que diplomates, mal informés par des fanatiques, ne se montrèrent pas « à la hauteur ».
Dans les deux Canadas, l’Assemblée n’avait pas tardé à revendiquer un gouvernement responsable et la faculté de décider seule l’emploi des fonds publics, en vertu de principes du droit constitutionnel britannique. Mais pour les impérialistes, ce qui était bon dans la mère-patrie, ne le semblait plus chez les coloniaux. Et l’exécutif qui n’avait pas assez des revenus permanents de la Couronne — (sommes rapportées par son domaine, et produit des impôts établis par la législation de l’Empire) pour les dépenses administratives, dont le paiement des traitements de fonctionnaire, continuait, à puiser, selon son bon plaisir, dans les recettes qui auraient du être réservées aux Chambres basses fermement opposées a cette pratique.
On finit par offrir partiellement le contrôle des deniers publics aux Assemblées législative mais en faisant les restrictions, elles seraient tenues d’ouvrir des crédits suffisants à l’exécutif, soit l’aspect d’une « liste civile permanente ». La Chambre du Bas-Canada refusa.
La présentation des Dix Résolutions en Angleterre mit, en lumière le fait que Londres n’était pas prêt à céder et, d’autre part, qu’il ne tolérerait pas encore la responsabilité ministérielle, ni un Conseil législatif élu par la masse. C’est alors, que se produisit le tragique soulèvement de 1837, vite réprimé d’ailleurs. En Janvier 1838, les parlementaires londoniens adoptèrent une loi suspendant l’application de celle de 1791 jusqu’au 1er novembre 1840 : le gouverneur et un Conseil spécial administraient le pays en attendant une nouvelle structure politique.
Lord Durham. devenu haut commissaire et gouverneur général prépara un rapport à l’intention des dirigeants impériaux. Il était d’opinion que les Anglais devaient commander et, donc qui! fallait noyer les Canadiens français dans un flot d’immigrants britanniques ainsi que réunir les deux Canadas sous un seul parlement et sous un gouvernement unique Mais lord Durham suggérait de subordonner le pouvoir exécutif au pouvoir législatif.
En 1840, Londres décréta la fusion du Haut-Canada – 450,000 âmes et du Bas-Canada – 631,000 Le territoire allait être doté d’une Assemblée législative, comprenant quatre-vingt-quatre députés dont la moitié pour la première des anciennes provinces et l’autre moitié pour la seconde; cette Chambre gérerait les revenus de l’État, mais voterait une « liste civile permanente », et serait assistée dans l’élabora t ion des lots par un Conseil aux vingt membres nommes et non élus. Tout, était prêt pour l’Union en 1841.
Pendant quelques années encore, il n’y eut pas de gouvernement responsable ; néanmoins il s’imposa à partir de 1847 : qu’on se souvienne de la démission du ministère Sherwood à cause de la désapprobation rie la majorité des représentants du peuple.
D’autre part, devant les doléances des Canadiens français. Londres se décida, en 1848, a faire disparaître l’article de l’Acte d’union interdisant l’utilisation officielle de langue française et, quelques mois plus tard, le gouverneur général répéta son discours du Trône en français après l’avoir prononce en anglais.
La population du Haut-Canada, grossissant rapidement par suite de l’immigration intense ne tarda pas a être plus importante que celle du Bas-Canada : et dorénavant elle cria à l’injustice parce que la composition de l’Assemblée n’a avantageait plus.
Les difficultés les plus diverses se multipliaient, résultat de la rivalité des races, des religions et des convictions politiques. Gouvernements, remaniements ministériels se succédaient a. un rythme rapide sans que jamais on ne pouvait espérer voir la situation s éclaircir.
L’idée d’une fédération n’était pas neuve ; elle cheminait plus ou moins timidement depuis le dernier quart du XVIIIème siècle. Les événements allaient faire mettre la théorie en pratique : la peur de l’annexion par les États-Unis durant la Guerre de Sécession fut un facteur aussi décisif que les déboires politiques du Canada-Uni. On sait le reste. Les 72 résolutions furent approuvées à Québec en 1864. Il devait en sortir l’Acte de l’Amérique Britannique du Nord, qui entra en vigueur en juillet de la même année. La Confédération était née avec ses qualités et ses faiblesses.
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